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sur un glaçon

La navigation continua donc, et cette résolution des naufragés devait avoir d’incalculables conséquences. À six heures du soir, Madge se leva et, montrant un point dans le sud-est :

« Terre ! » dit-elle.

Tous se levèrent, électrisés. Une terre, en effet, se levait dans le sud-est, à douze milles du glaçon.

« De la toile ! de la toile ! » s’écria le lieutenant Hobson.

On le comprit. La surface de voilure fut accrue. On installa sur les haubans des sortes de bonnettes au moyen de vêtements, de fourrures, de tout ce qui pouvait donner prise au vent.

La vitesse fut accrue, d’autant plus que la brise fraîchissait. Mais le glaçon fondait de toutes parts. On le sentait tressaillir. Il pouvait s’ouvrir à chaque instant.

On n’y voulait pas songer. L’espoir entraînait. Le salut était là-bas, sur ce continent. On l’appelait, on lui faisait des signaux ! C’était un délire !

À sept heures et demie, le glaçon s’était sensiblement rapproché de la côte. Mais il fondait à vue d’œil, il s’enfonçait aussi, l’eau l’ameurait, les lames le balayaient et emportaient peu à peu les animaux affolés de terreur. À chaque instant, on devait craindre que le glaçon ne s’abîmât sous les flots. Il fallut l’alléger comme un navire qui coule. Puis on étendit avec soin le peu de terre et de sable qui restait sur la surface glacée, vers ses bords surtout, de manière à les préserver de l’action directe des rayons solaires ! On y plaça aussi des fourrures, qui, de leur nature, conduisent mal la chaleur. Enfin, ces hommes énergiques employèrent tous les moyens imaginables pour retarder la catastrophe suprême. Mais tout cela était insuffisant. Des craquements couraient à l’intérieur du glaçon, et des fentes se dessinaient à sa surface. Quelques-uns pagayaient avec des planches. Mais déjà l’eau se faisait jour à travers, et la côte était encore à quatre milles au vent !

« Allons ! un signal, mes amis, s’écria le lieutenant Hobson, soutenu par une énergie héroïque. Peut-être nous verra-t-on ! »

De tout ce qui restait d’objets combustibles, deux ou trois planches, une poutrelle, on fit un bûcher et on y mit le feu. Une grande flamme monta au dessus de la fragile épave !

Mais le glaçon fondait de plus en plus, et, en même temps, il s’enfonçait. Bientôt, il n’y eut plus que le monticule de terre qui émergeât ! Là, tous s’étaient réfugiés, en proie aux angoisses de l’épouvante, et, avec