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le pays des fourrures.

Fier de cette mission, passionné pour son œuvre, il ne voulait rien négliger qui pût en compromettre le succès. Le caporal Joliffe, très affairé toujours, se multipliait sans faire grande besogne ; mais la présence de sa femme était et devait être très utile à l’expédition. Mrs. Paulina Barnett l’avait prise en amitié, cette intelligente et vive Canadienne, blonde avec de grands yeux doux.

Il va sans dire que le capitaine Craventy n’oublia rien pour le succès de l’entreprise. Les instructions qu’il avait reçues des agents supérieurs de la Compagnie montraient quelle importance ils attachaient à la réussite de l’expédition et à l’établissement d’une nouvelle factorerie au-delà du soixante-dixième parallèle. On peut donc affirmer que tout ce qu’il était humainement possible de faire pour atteindre ce but fut fait. Mais la nature ne devait-elle pas créer d’insurmontables obstacles devant les pas du courageux lieutenant ? C’est ce que personne ne pouvait prévoir !


CHAPITRE V.

du fort reliance au fort entreprise.


Les premiers beaux jours étaient arrivés. Le fond vert des collines commençait à reparaître sous les couches de neige en partie effacées. Quelques oiseaux, des cygnes, des tétras, des aigles à tête chauve et autres migrateurs venant du sud, passaient à travers les airs attiédis. Les bourgeons se gonflaient aux extrêmes branches des peupliers, des bouleaux et des saules. Les grandes mares, formées çà et là par la fonte des neiges, attiraient ces canards à tête rouge dont les espèces sont si variées dans l’Amérique septentrionale. Les guillemots, les puffins, les eider-ducks, allaient chercher au nord des parages plus froids. Les musaraignes, petites souris microscopiques, grosses comme une noisette, se hasardaient hors de leur trou, et dessinaient sur le sol de capricieuses bigarrures du bout de leur petite queue pointue. C’était une ivresse de respirer, de humer ces rayons solaires que le printemps rendait si vivifiants ! La nature se réveillait de son long sommeil, après l’interminable nuit de l’hiver, et souriait en s’éveillant. L’effet de ce renouveau est peut-être plus sensible au milieu des contrées hyperboréennes qu’en tout autre point du globe.

Cependant, le dégel n’était point complet. Le thermomètre Fahrenheit