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le pays des fourrures.

se dirigea vers cette partie du littoral que le lieutenant Hobson et Mrs. Paulina Barnett occupaient.

En ce moment, Jasper Hobson saisit le fusil qu’il portait en bandoulière et se tint prêt à tirer.

Mais aussitôt, après avoir couché en joue l’animal, il laissa retomber son arme, et à mi-voix :

« Un ours, madame, dit-il, ce n’est qu’un ours dont les dimensions ont été démesurément grandies par la réfraction ! »

C’était un ours polaire, en effet, et Mrs. Paulina Barnett reconnut aussitôt l’illusion d’optique dont elle venait d’être le jouet. Elle respira longuement. Puis une idée lui vint :

« C’est mon ours ! s’écria-t-elle, un ours de Terre-Neuve pour le dévouement ! Et très probablement le seul qui reste dans l’île ! — Mais que fait-il là ?

— Il essaie de s’échapper, madame, répondit le lieutenant Hobson, en secouant la tête. Il essaie de fuir cette île maudite ! Et il ne le peut pas encore, et il nous montre que le chemin, fermé pour lui, l’est aussi pour nous ! »

Jasper Hobson ne se trompait pas. La bête prisonnière avait tenté de quitter l’île pour atteindre quelque point du continent, et, n’ayant pu réussir, elle regagnait le littoral. L’ours, remuant sa tête et grognant sourdement, passa à vingt pas à peine du lieutenant et de sa compagne. Ou il ne les vit pas, ou il dédaigna de les voir, car il continua sa marche d’un pas pesant, se dirigea vers le cap Michel, et disparut bientôt derrière un monticule.

Ce jour-là, le lieutenant Hobson et Mrs. Paulina Barnett revinrent tristement et silencieusement au fort.

Cependant, comme si la traversée des champs de glace eût été praticable, les préparatifs du départ se continuaient activement à la factorerie. Il ne fallait rien négliger pour la sécurité de l’expédition, il fallait tout prévoir, et compter non seulement avec les difficultés et les fatigues, mais aussi avec les caprices de cette nature polaire, qui se défend si énergiquement contre les investigations humaines.

Les attelages de chiens avaient été l’objet de soins particuliers. On les laissa courir aux environs du fort, afin que l’exercice refit leurs forces un peu engourdies par un long repos. En somme, ces animaux se trouvaient tous dans un état satisfaisant et pouvaient, si on ne les surmenait pas, fournir une longue marche.

Les traîneaux furent inspectés avec soin. La surface raboteuse de l’icefield devait nécessairement les exposer à de violents chocs. Aussi durent-