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une chance à tenter.

quelques degrés au-dessus du sombre horizon, jetait une lueur blafarde sur tout cet ensemble. La demi-obscurité, aidée par certains phénomènes de réfraction, doublait la grandeur des objets. Quelques icebergs de médiocre altitude prenaient des dimensions colossales, et affectaient parfois des formes de monstres apocalyptiques. Des oiseaux passaient à grand bruit d’ailes, et le moindre d’entre eux, par suite de cette illusion d’optique, paraissait plus grand qu’un condor ou un gypaète. En de certaines directions, au milieu des montagnes de glace, semblaient s’ouvrir d’immenses tunnels noirs, dans lesquels l’homme le plus audacieux eût hésité à s’engouffrer. Puis des mouvements subits se produisaient, grâce aux culbutes des icebergs, rongés à leur base, qui cherchaient un nouvel équilibre, et d’éclatants fracas retentissaient que répercutait l’écho sonore. La scène changeait ainsi à vue comme le décor d’une féerie ! Avec quel sentiment d’effroi devaient considérer ces terribles phénomènes de malheureux hiverneurs qui allaient s’aventurer à travers ce champ de glace !

Malgré son courage, malgré son énergie morale, la voyageuse se sentait pénétrée d’involontaires terreurs. Son âme se glaçait comme son corps. Elle était tentée de fermer ses yeux et ses oreilles pour ne pas voir, pour ne pas entendre. Lorsque la lune venait à se voiler un instant sous une brume plus épaisse, le sinistre aspect de ce paysage polaire s’accentuait encore, et Mrs. Paulina Barnett se figurait alors la caravane d’hommes et de femmes, cheminant à travers ces solitudes, au milieu des bourrasques, des neiges, sous les avalanches, dans la profonde obscurité d’une nuit arctique !

Cependant, Mrs. Paulina Barnett se forçait à regarder. Elle voulait habituer ses yeux à ces aspects, endurcir son âme contre la terreur. Elle regardait donc, et tout d’un coup un cri s’échappa de sa poitrine, sa main serra la main du lieutenant Hobson, et elle lui montra du doigt un objet énorme, aux formes indécises, qui se mouvait dans la pénombre, à cent pas d’eux à peine.

C’était un monstre d’une blancheur éclatante, d’une taille gigantesque, dont la hauteur dépassait cinquante pieds. Il allait lentement sur les glaçons épars, sautant de l’un à l’autre par des bonds formidables, agitant ses pattes démesurées qui eussent pu embrasser dix gros chênes à la fois. Il semblait vouloir chercher, lui aussi, un passage praticable à travers l’icefield et fuir cette île funeste. On voyait les glaçons s’enfoncer sous son poids, et il ne parvenait à reprendre son équilibre qu’après des mouvements désordonnés.

Le monstre s’avança ainsi pendant un quart de mille sur le champ de glace. Puis, sans doute, ne trouvant aucun passage, il revint sur ses pas,