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une communication de jasper hobson.

Mais, à la grande satisfaction de Jasper Hobson, ces braves soldats ne parurent s’apercevoir de rien. Le déplacement, par rapport aux points cardinaux, n’avait pas été considérable, et l’atmosphère, très souvent embrumée, ne permettait pas de relever exactement le lever et le coucher des astres.

Mais ce mouvement de rotation parut coïncider avec un mouvement de translation plus rapide encore. Depuis ce jour, l’île Victoria dériva avec une vitesse de près d’un mille à l’heure. Elle remontait toujours vers les latitudes élevées, s’éloignant de toute terre. Jasper Hobson ne se laissait pas aller au désespoir, car il n’était pas dans son caractère de désespérer, mais il se sentait perdu, et il demandait l’hiver, c’est-à-dire le froid à tout prix.

Cependant, la température s’abaissa encore. Une neige abondante tomba pendant les journées des 23 et 24 septembre, et, s’ajoutant à la surface des glaçons que le froid cimentait déjà, elle accrut leur épaisseur. L’immense plaine de glace se formait peu à peu. L’île, en marchant, la brisait bien encore, mais sa résistance augmentait d’heure en heure. La mer se prenait tout autour et jusqu’au-delà des limites du regard.

Enfin, l’observation du 27 septembre prouva que l’île Victoria, emprisonnée dans un immense icefield, était immobile depuis la veille ! Immobile par 177°22’ de longitude et 77°57’ de latitude, — à plus de six cents milles de tout continent !


CHAPITRE XI.

une communication de jasper hobson.


Telle était la situation. L’île avait « jeté l’ancre », suivant l’expression du sergent Long, elle s’était arrêtée, elle était stationnaire, comme au temps où l’isthme la rattachait encore au continent américain. Mais six cents milles la séparaient alors des terres habitées, et ces six cents milles, il faudrait les franchir avec les traîneaux, en suivant la surface solidifiée de la mer, au milieu des montagnes de glace que le froid allait accumuler, et cela pendant les plus rudes mois de l’hiver arctique.

C’était une terrible entreprise, et, cependant, il n’y avait pas à hésiter. Cet hiver que le lieutenant Hobson avait appelé de tous ses vœux, il arrivait enfin, il avait enrayé la funeste marche de l’île vers le nord, il allait