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les grands ours polaires.

réserve de combustible était presque épuisée. Avant douze heures, le dernier morceau de bois serait dévoré, le poêle éteint.

Ce serait la mort, la mort par le froid, la plus terrible de toutes les morts. Déjà ces pauvres gens, serrés les uns contre les autres, entourant ce poêle qui se refroidissait, sentaient leur propre chaleur les abandonner aussi. Mais ils ne se plaignaient pas. Les femmes elles-mêmes supportaient héroïquement ces tortures. Mrs. Mac Nap pressait convulsivement son petit enfant sur sa poitrine glacée. Quelques-uns des soldats dormaient ou plutôt languissaient dans une sombre torpeur, qui ne pouvait être du sommeil.

À trois heures du matin, Jasper Hobson consulta le thermomètre à mercure suspendu intérieurement au mur de la grande salle, à moins de dix pieds du poêle.

Il marquait quatre degrés Fahrenheit au-dessous de zéro (20° centigr. au-dessous de glace) !

Le lieutenant passa sa main sur son front, il regarda ses compagnons, qui formaient un groupe compact et silencieux, et il demeura pendant quelques instants immobile. La vapeur à demi condensée de sa respiration l’entourait d’un nuage blanchâtre.

En ce moment, une main se posa sur son épaule. Il tressaillit et se retourna. Mrs. Paulina Barnett était devant lui.

« Il faut faire quelque chose, lieutenant Hobson, lui dit l’énergique femme, nous ne pouvons mourir ainsi sans nous défendre !

— Oui, répondit le lieutenant, sentant se réveiller en lui l’énergie morale, il faut faire quelque chose ! »

Le lieutenant appela le sergent Long, Mac Nap et Raë le forgeron, c’est-à-dire les hommes les plus courageux de sa troupe. Accompagnés de Mrs. Paulina Barnett, ils se rendirent près de la fenêtre, et là, par la vitre qu’ils lavèrent à l’eau bouillante, ils consultèrent le thermomètre extérieur.

« Soixante-douze degrés ! (40° centigr. au-dessous de zéro), s’écria Jasper Hobson. Mes amis, nous n’avons plus que deux partis à prendre : ou risquer notre vie pour renouveler la provision de combustible, ou brûler peu à peu les bancs, les lits, les cloisons, tout ce qui, dans cette maison, peut alimenter nos poêles ! Mais c’est un expédient suprême, car le froid peut durer, et rien ne fait présager un changement de temps.

— Risquons-nous ! » répondit le sergent Long. Ce fut aussi l’opinion de ses deux camarades. Aucune autre parole ne fut prononcée, et chacun se mit en mesure d’agir.

Voici ce qui fut convenu, et quelles précautions on dut prendre pour sauvegarder, autant que possible, la vie de ceux qui allaient se dévouer au salut commun.