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où le mercure gèle.

bait quelquefois à quinze degrés Fahrenheit (9° centigr. au-dessous de glace). Aussi des hommes de quart, se relayant d’heure en heure, avaient-ils ordre de surveiller et d’entretenir les feux.

« Le bois nous manquera bientôt, dit un jour le sergent Long au lieutenant.

— Nous manquer ! s’écria Jasper Hobson.

— Je veux dire, reprit le sergent, que l’approvisionnement de la maison s’épuise et qu’il faudra, avant peu, nous ravitailler au hangar. Or, je le sais par expérience, s’exposer à l’air avec un froid pareil, c’est risquer sa vie.

— Oui ! répondit le lieutenant, c’est une faute que nous avons commise, d’avoir construit un bûcher non contigu à la maison et sans communication directe avec elle. Je m’en aperçois un peu tard. J’aurais dû ne pas oublier que nous allions hiverner au-delà du soixante-dixième parallèle ! Mais enfin, ce qui est fait est fait.

— Dites-moi, Long, quelle quantité de bois reste-t-il dans la maison ?

— De quoi alimenter le poêle et le fourneau pendant deux ou trois jours au plus, répondit le sergent.

— Espérons que d’ici là, reprit Jasper Hobson, la rigueur de la température aura quelque peu diminué et qu’on pourra sans danger traverser la cour du fort.

— J’en doute, mon lieutenant, répliqua le sergent Long en secouant la tête. L’atmosphère est pure, les étoiles sont brillantes, le vent se maintient au nord, et je ne serais pas étonné que ce froid durât quinze jours encore, jusqu’à la lune nouvelle.

— Eh bien, mon brave Long, reprit le lieutenant Hobson, nous ne nous laisserons certainement pas mourir de froid, et le jour où il faudra s’exposer…

— On s’exposera, mon lieutenant », répondit le sergent Long.

Jasper Hobson serra la main du sergent, dont le dévouement lui était bien connu.

On pourrait croire que Jasper Hobson et le sergent Long exagéraient, quand ils regardaient comme pouvant causer la mort la subite impression d’un tel froid sur l’organisme. Mais, habitués aux violences des climats polaires, ils avaient pour eux une longue expérience. Ils avaient vu, dans des circonstances identiques, des hommes robustes tomber évanouis sur la glace, dès qu’ils s’exposaient au-dehors. La respiration leur manquait, et on les relevait asphyxiés. Ces faits, si incroyables qu’ils paraissent, se sont reproduits maintes fois pendant certains hivernages. Lors de leur voyage sur les rives de la baie d’Hudson, en 1746, William Moor et Smith ont cité plusieurs accidents de ce genre, et ils ont perdu quelques-uns de