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MAITRE ZACHARIUS




I

UNE NUIT D’HIVER


La ville de Genève est située à la pointe occidentale du lac auquel elle a donné ou doit son nom. Le Rhône, qui la traverse à sa sortie du lac, la partage en deux quartiers distincts, et est divisé lui-même, au centre de la cité, par une île jetée entre ses deux rives. Cette disposition topographique se reproduit souvent dans les grands centres de commerce ou d’industrie. Sans doute les premiers indigènes furent séduits par les facilités de transport que leur offraient les bras rapides des fleuves, « ces chemins qui marchent tout seuls », suivant le mot de Pascal. Avec le Rhône, ce sont des chemins qui courent.

Au temps où des constructions neuves et régulières ne s’élevaient pas encore sur cette île, ancrée comme une galiote hollandaise au milieu du fleuve, le merveilleux entassement de maisons grimpées les unes sur les autres offrait à l’œil une confusion pleine de charmes. Le peu d’étendue de l’île avait forcé quelques-unes de ces constructions à se jucher sur des pilotis, engagés pêle-mêle dans les rudes courants du Rhône. Ces gros madriers, noircis par les temps, usés par les eaux, ressemblaient aux pattes d’un crabe immense et produisaient un effet fantastique. Quelques filets jaunis, véritables toiles d’araignée tendues au sein de cette substruction séculaire, s’agitaient dans l’ombre comme s’ils eussent été le feuillage de ces vieux bois de chêne, et le fleuve, s’engouffrant au milieu de cette forêt de pilotis, écumait avec de lugubres mugissements.

Une des habitations de l’île frappait par son caractère d’étrange vétusté. C’était la maison du vieil horloger, maître Zacharius, de sa fille Gérande, d’Aubert Thün, son apprenti, et de sa vieille servante Scholastique.