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le chancellor.

J’essaye de dormir sur l’étroit espace qui m’est réservé dans la hune, mais je ne puis y parvenir. De fâcheux pressentiments m’assiègent. La tranquillité présente de l’atmosphère m’inquiète, et je la trouve « trop calme ». C’est à peine si, de temps à autre, un souffle passe dans le gréement et en fait vibrer le filin métallique. D’ailleurs, la mer « sent » quelque chose. Elle est agitée par une longue houle, et elle éprouve évidemment le contre-coup de quelque tempête lointaine.

Vers onze heures du soir, dans l’écartement de deux nuages, la lune brille d’un vif éclat, et les flots resplendissent comme s’ils étaient éclairés par une lueur sous-marine.

Je me lève et je regarde. Chose bizarre, il me semble apercevoir, pendant quelques instants, un point noir qui s’élève et s’abaisse au milieu de l’intense blancheur des eaux. Ce ne peut être un rocher, puisqu’il suit les mouvements de la houle. Qu’est-ce donc ?

Puis, la lune se voile de nouveau, l’obscurité redevient profonde, et je me couche près des haubans de bâbord.

xxvii

— 6 décembre. — Je suis parvenu à dormir pendant quelques heures. À quatre heures du matin, le sifflement de la brise me réveille brusquement. J’entends la voix de Robert Kurtis qui retentit au milieu des rafales, dont les secousses ébranlent la mâture.

Je me lève. Accroché fortement à la filière, j’essaye de voir ce qui se passe au-dessous et autour de moi.

Au milieu de l’obscurité, la mer mugit sous mes yeux. De grandes nappes d’écume, livides plutôt que blanches, passent entre les mâts, auxquels le roulis imprime de larges oscillations. Deux ombres noires, à l’arrière du navire, tranchent sur la couleur blanchâtre de la mer. Ces ombres sont le capitaine Kurtis et le bosseman. Leurs voix, peu distinctes au milieu du fracas des flots et des sifflements de la brise, n’arrivent à mon oreille que comme un gémissement.

En ce moment, un des marins qui est monté dans la hune pour amarrer une manœuvre passe près de moi.