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journal du passager j.-r. kazallon.

à la main, nous constatons que les abords du récif sont très-accores. L’eau est extrêmement profonde à raser les roches, et il n’est pas douteux qu’un soulèvement brusque, une poussée violente, due à l’action des forces plutoniennes, n’ait projeté cet écueil hors des eaux.

Du reste, l’origine de l’îlot n’est pas discutable. Elle est purement volcanique. Ce ne sont partout que blocs de basalte, disposés dans un ordre parfait, et dont les prismes réguliers donnent à l’ensemble l’aspect d’une cristallisation gigantesque. La mer est merveilleusement transparente à l’aplomb du contour de l’écueil et laisse voir le curieux faisceau de fûts prismatiques qui supporte cette remarquable substruction.

« Voilà un singulier îlot, dit M. Letourneur, et son apparition est certainement récente.

— Cela est évident, père, répond le jeune André, et j’ajoute que c’est un phénomène, identique à ceux qui se sont produits pour l’île Julia, sur la côte de Sicile, et aux groupes des Santorins, dans l’Archipel, qui a créé cet îlot, juste à point pour permettre au Chancellor de s’y échouer !

— En effet, ai-je ajouté, il faut qu’un soulèvement se soit accompli dans cette partie de l’Océan, puisque cet écueil ne figure pas sur les cartes les plus modernes, car il ne pourrait avoir échappé aux yeux des marins, dans cette portion de l’Atlantique, qui est assez fréquentée. Explorons-le donc avec soin, et nous le porterons à la connaissance des navigateurs.

— Qui sait s’il ne disparaîtra pas bientôt par suite d’un phénomène semblable à celui qui l’a produit ? répond André Letourneur. Vous le savez, monsieur Kazallon, ces îles volcaniques n’ont souvent qu’une durée éphémère, et quand les géographes auront inscrit celle-ci sur leurs nouvelles cartes, peut-être n’existera-t-elle déjà plus !

— N’importe, cher enfant, répond M. Letourneur. Mieux vaut indiquer un danger qui n’existe pas qu’omettre un danger qui existe, et les marins n’auront pas le droit de se plaindre, s’ils ne trouvent plus d’écueil, là où nous en aurons relevé un !

— Tu as raison, père, répond André, et, après tout, il est fort possible que cet îlot soit destiné à durer autant que nos continents. Seulement, s’il doit disparaître, le capitaine Kurtis aimerait autant que ce fût dans quelques jours, lorsqu’il aura réparé ses avaries, car cela lui épargnerait la peine de renflouer son navire !

— Vraiment, André, m’écriai-je plaisamment, vous prétendez disposer de la nature en souverain ! Vous voulez qu’elle élève et engloutisse un écueil à votre