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journal du passager j.-r. kazallon.

instruments, une boussole, des voiles, afin de pouvoir, le cas échéant, quitter immédiatement le navire.

À huit heures du soir, malgré le fracas de l’ouragan, de bruyants ronflements se font entendre. Les panneaux du pont se soulèvent sous la pression de l’air échauffé, et des tourbillons de fumée noire s’en échappent comme la vapeur sous la plaque d’une soupape de chaudière.

L’équipage se précipite vers Robert Kurtis, pour lui demander des ordres. Une idée unique s’empare de tous : fuir ce volcan, qui va faire irruption sous nos pieds !

Robert Kurtis regarde l’Océan, dont les lames monstrueuses déferlent. On ne peut même plus s’approcher de la chaloupe placée sur ces chantiers, au milieu du pont, mais il est encore possible d’utiliser le canot, hissé sur ses pistolets de tribord, ainsi que la baleinière, suspendue à l’arrière du navire.

Les matelots se précipitent vers le canot.

« Non ! crie Robert Kurtis, non ! Ce serait jouer notre dernière chance sur un coup de mer ! »

Quelques matelots affolés, Owen à leur tête, veulent cependant lancer l’embarcation. Robert Kurtis se précipite sur la dunette, et, saisissant une hache :

« Le premier qui touche aux palans, s’écrie-t-il, je lui fends le crâne ! »

Les matelots se retirent. Quelques-uns montent dans les enfléchures des haubans. D’autres se réfugient jusqu’aux hunes.

À onze heures, des détonations violentes se font entendre dans la cale. Ce sont les cloisons qui éclatent, laissant passage à l’air chaud et à la fumée. Aussitôt des torrents de vapeur sortent par le capot du poste de l’avant, et une longue langue de flamme va lécher le mât de misaine.

Des cris s’élèvent alors. Mrs. Kear, soutenue par miss Herbey, quitte précipitamment les chambres, que le feu gagne. Puis, Silas Huntly apparaît, le visage noirci par la fumée, et tranquillement, après avoir salué Robert Kurtis, il se dirige vers les haubans de l’arrière, gravit les enfléchures et s’installe sur la hune d’artimon.

La vue de Silas Huntly me rappelle alors qu’un autre homme est resté emprisonné sous la dunette, dans cette cabine que les flammes vont peut-être dévorer.

Faut-il donc laisser périr ce malheureux Ruby ? Je m’élance vers l’escalier… Mais le fou, qui a brisé ses liens, se montre en ce moment, les cheveux brûlés, les vêtements en feu. Sans proférer un cri, il marche sur le pont, et les pieds ne lui brûlent pas ! Il se jette dans les tourbillons de fumée, et la fumée ne