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journal du passager j.-r. kazallon.

Mrs. Kear pousse des gémissements, et, malgré ses ridicules, la malheureuse femme fait pitié. Miss Herbey, en ces circonstances, se croit moins que jamais dégagée de ses devoirs envers sa maîtresse, et elle la soigne avec un absolu dévoûment. Je ne puis qu’admirer la conduite de cette jeune fille, pour laquelle le devoir est tout.

Le lendemain, 23 octobre, le capitaine Huntly fait demander le second, qui va le trouver dans sa cabine, et entre eux a lieu cette conversation, dont Robert Kurtis me rapporte les termes.

« Monsieur Kurtis, dit le capitaine, dont l’œil hagard indique un trouble des facultés mentales, je suis marin, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.

— Eh bien, figurez-vous que je ne sais plus mon métier… j’ignore ce qui se passe en moi… mais j’oublie… je ne sais plus… Est-ce que nous n’avons pas fait le nord-est depuis notre départ de Charleston.

— Non, monsieur, répond le second, nous avons fait le sud-est, suivant vos ordres.

— Nous sommes pourtant chargés pour Liverpool !

— Sans doute.

— Et le ?… Comment s’appelle le navire, monsieur Kurtis ?

— Le Chancellor.

— Ah, oui ! le Chancellor ! Et il se trouve maintenant ?…

— Au sud du Tropique.

— Eh bien ! monsieur, je ne me charge pas de le ramener au nord !… Non !… je ne pourrais pas… Je désire ne plus quitter ma cabine… La vue de la mer me fait mal !…

— Monsieur, répond Robert Kurtis, j’espère que des soins…

— Oui, oui, nous verrons… plus tard. — En attendant, je vais vous donner un ordre, mais ce sera le dernier que vous recevrez de moi.

— Je vous écoute, répond le second.

— Monsieur, reprend le capitaine, à partir de ce moment, je ne suis plus rien à bord, et vous prenez le commandement du navire… les circonstances sont plus fortes que moi, et je sens que je ne puis y résister… Ma tête se perd ! — Je souffre beaucoup, monsieur Kurtis, » ajoute Silas Huntly en pressant son front de ses deux mains.

Le second examine attentivement celui qui jusqu’ici commandait à bord, et il se contente de répondre :

« C’est bien, monsieur. »