— Quelle terre ? demande le bosseman.
— La terre d’Amérique, la terre où coule l’Amazone, le seul fleuve qui ait un courant assez fort pour dessaler l’Océan jusqu’à vingt milles de son embouchure ! »
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— Suite du 27 janvier. — Robert Kurtis a évidemment raison. Cette embouchure de l’Amazone, dont le débit est de deux cent quarante mille mètres cubes à l’heure[1], c’est le seul endroit de l’Atlantique où nous ayons pu trouver de l’eau douce. La terre est là ! Nous le sentons ! Le vent nous y porte ! »
En ce moment, la voix de miss Herbey s’élève vers le ciel, et nous mêlons nos prières aux siennes.
André Letourneur est dans les bras de son père, à l’arrière du radeau, tandis qu’à l’avant, tous, nous regardons l’horizon de l’ouest…
Une heure après, Robert Kurtis crie : « Terre ! »
Le journal où j’ai consigné ces notes quotidiennes est fini. Notre sauvetage s’est opéré en quelques heures, et je le raconterai en quelques mots.
Le radeau, vers onze heures du matin, a été rencontré à la pointe Magouri sur l’île Marajo. De charitables pêcheurs nous ont recueillis et réconfortés ; puis, ils nous ont conduits au Para, où nous avons été l’objet des soins les plus touchants.
Le radeau a atterri par 0° 12′ de latitude nord. Il a donc été rejeté d’au moins quinze degrés dans le sud-ouest depuis le jour où nous avons abandonné le navire. Je dis « au moins », car il est évident que nous avons dû descendre plus au sud. Si nous sommes arrivés à l’embouchure de l’Amazone, c’est que le courant du Gulf-stream a repris le radeau et l’y a porté. Sans cette circonstance, nous étions perdus.
De trente-deux embarqués à Charleston, soit neuf passagers et vingt-trois marins, il ne reste que cinq passagers et six marins, — en tout, onze.
- ↑ C’est 3 000 fois le débit de la Seine.