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le chancellor.

yeux, mais du nez, me glissant sous les voiles, entre les espars, avec la prudence d’un chat, et ne voulant à aucun prix éveiller l’attention de mes compagnons.

Pendant quelques minutes, je rampe ainsi dans tous les coins, me guidant à l’odorat, comme un limier. Tantôt la trace m’échappe, soit que je m’éloigne du but, soit que la brise tombe, et tantôt l’émanation m’arrive avec une intensité nouvelle. Enfin, je la tiens, cette trace, je la suis, et je sens que je vais droit à l’objet !

En ce moment, j’ai atteint l’angle de tribord, à l’avant du radeau, et je reconnais que cette odeur est celle d’un morceau de lard fumé. Je ne me trompe pas. Toutes les papilles de ma langue se hérissent d’envie !

Il me faut alors m’insinuer sous un épais pli de voiles. Personne ne me voit, personne ne m’entend. Je me glisse sur les genoux, sur les coudes. J’allonge le bras. Ma main saisit un objet enfermé dans un morceau de papier. Je le retire rapidement, et je regarde à la clarté de la lune qui jaillit, en ce moment, au-dessus de l’horizon.

Ce n’est point une illusion. J’ai là, dans la main, un morceau de lard, à peine un quart de livre, mais de quoi calmer pour tout un jour mes tortures ! Je porte à ma bouche…

Une main saisit la mienne. Je me retourne, retenant à peine un rugissement. Je reconnais le maître d’hôtel Hobbart.

Tout s’explique, la situation particulière d’Hobbart, sa santé restée relativement meilleure, ses plaintes hypocrites. Au moment du naufrage, il a pu sauver quelques provisions, il les a mises en réserve, il s’est nourri, pendant que nous mourions de faim ! Ah ! le misérable !

Mais non ! Hobbart a sagement agi. Je trouve que c’est un homme prudent, avisé, et, s’il a conservé quelque nourriture à l’insu de tous, tant mieux pour lui… et pour moi.

Hobbart ne l’entend pas ainsi. Il saisit ma main et cherche à me reprendre le morceau de lard, mais sans parler ; il ne veut pas attirer l’attention de ses camarades.

J’ai le même intérêt que lui à me taire. Il ne faut pas que d’autres viennent m’arracher cette proie ! Je lutte donc silencieusement, mais avec d’autant plus de rage que j’entends Hobbart dire entre ses dents : « Mon dernier morceau ! ma dernière bouchée ! »

Sa dernière bouchée ! Il me la faut à tout prix, je la veux, je l’aurai ! Je prends à la gorge mon adversaire, qui râle sous ma main et reste bientôt sans mouvement !