Page:Verne - Le Château des Carpathes.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à faire pour saisir le baron de Gortz, et, le sang aux yeux, la tête perdue, il levait la main…

Soudain la Stilla apparut.

Franz laissa tomber son couteau sur le tapis.

La Stilla était debout sur l’estrade, en pleine lumière, sa chevelure dénouée, ses bras tendus, admirablement belle dans son costume blanc de l’Angélica d’Orlando, telle qu’elle s’était montrée sur le bastion du burg. Ses yeux, fixés sur le jeune comte, le pénétraient jusqu’au fond de l’âme…

Il était impossible que Franz ne fût pas vu d’elle, et, pourtant, la Stilla ne faisait pas un geste pour l’appeler… elle n’entr’ouvrait pas les lèvres pour lui parler… Hélas ! elle était folle !

Franz allait s’élancer sur l’estrade pour la saisir entre ses bras, pour l’entraîner au-dehors…

La Stilla venait de commencer à chanter. Sans quitter son fauteuil, le baron de Gortz s’était penché vers elle. Au paroxysme de l’extase, le dilettante respirait cette voix comme un parfum, il la buvait comme une liqueur divine. Tel il était autrefois aux représentations des théâtres d’Italie, tel il était alors au milieu de cette salle, dans une solitude infinie, au sommet de ce donjon, qui dominait la campagne transylvaine !

Oui ! la Stilla chantait !… Elle chantait pour lui… rien que pour lui !… C’était comme un souffle s’exhalant de ses lèvres, qui semblaient être immobiles… Mais, si la raison l’avait abandonnée, du moins son âme d’artiste lui était-elle restée toute entière !

Franz, lui aussi, s’enivrait du charme de cette voix qu’il n’avait pas entendue depuis cinq longues années… Il s’absorbait dans l’ardente contemplation de cette femme qu’il croyait ne jamais revoir, et qui était là, vivante, comme si quelque miracle l’eût ressuscitée à ses yeux !

Et ce chant de la Stilla, n’était-ce pas entre tous celui qui devait faire vibrer plus vivement au cœur de Franz les cordes du souvenir ? Oui ! il avait reconnu le finale de la tragique scène