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dre au printemps. Circonstance heureuse, car lorsque la saison est plus avancée, ils sont quelquefois terribles. Ils balaient la vallée du Danube, et la navigation peut y être gênée, parfois même interrompue. Et il importait que la chaland eût reçu son plein de cargaison dans quelques heures afin de démarrer avant le jour.

Il était minuit lorsque le convoi s’arrêta. Les chevaux marchaient depuis quatre heures, et il convenait de les laisser reposer. Non seulement ils traînaient des véhicules assez lourdement chargés, mais la route, à peine entretenue, était coupée d’ornières, ce qui obligeait à de violents coups de collier.

La halte devait durer une heure. Il ne restait plus que trois lieues à franchir, et sur des chemins moins mauvais aux approches du fleuve. Les fraudeurs étaient donc assurés d’avoir atteint le confluent et même d’avoir embarqué la cargaison, alors que le lit du Danube serait encore noyé dans l’ombre.

C’était dans une clairière, en dehors et sur la droite de la route — endroit bien connu d’eux — que les rouliers avaient remisé leurs charrettes. Par cette profonde obscurité, sous l’épais plafond des arbres, on n’eût pu les apercevoir sans pénétrer dans la clairière. Donc, au cas qu’il passerait quelqu’un, il n’y avait rien à craindre.

Après les premiers soins donnés aux chevaux, tous s’étaient réunis autour du chef. Ils étaient là, en y comprenant les charretiers, une vingtaine d’hommes vigoureux, accoutumés au danger, ayant fait leur preuve en maintes circonstances.

Tant que dura la halte, assis au pied des arbres, ne fumant même pas, afin de ne point donner l’éveil, ils causèrent à voix basse. Deux ou trois, en plus étroite familiarité, s’entretenaient avec leur chef. Ce dont ils conversaient, c’est qu’il était urgent que l’expédition prît fin… Le pays était trop surveillé… On choisirait une autre partie du fleuve, où les bateaux attendraient en plus grande sûreté les marchandises expédiées vers l’une ou l’autre rive. L’essentiel était donc d’avoir déjoué les efforts de la police aux alentours des Petites Karpates et de partir avant qu’elle ne fût au confluent de la Morave.

Une heure s’écoula dans un repos que rien n’avait troublé. Sur un signe, les attelages allaient se remettre en marche, lorsqu’un des hommes, posté à l’extrémité de la clairière, revint en hâte, disant :

« Alerte ! »

Le chef s’avança.

« Qu’y a-t-il donc ?… demanda-t-il.

— Écoute ! »

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