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de se former en un point encore inconnu du sol africain.

Chacun des deux précédents orateurs pouvant à la rigueur trouver des arguments favorables à sa cause dans le discours ministériel, ils triomphèrent tous deux également, et la discussion se poursuivit, jusqu’au moment où un député, excédé, s’écria au milieu du bruit :

— Puisqu’on ne peut pas s’entendre, qu’on aille y voir !

M. Chazelle répondit que ces contrées avaient été si souvent explorées que la nécessité de les découvrir une fois de plus ne s’imposait pas, mais qu’il était prêt, néanmoins, à se conformer aux vues de la Chambre, si celle-ci estimait qu’un voyage d’étude eût quelque utilité, et qu’il serait heureux de l’associer, dans ce cas, à une telle entreprise, en plaçant l’expédition sous la direction de celui de ses membres qu’elle voudrait bien désigner.

La proposition eut beaucoup de succès. On vota séance tenante, et le ministère fut invité à constituer une mission qui parcourrait la région comprise dans la boucle du Niger et qui rédigerait un rapport sur le vu duquel la Chambre statuerait ultérieurement.

On se mit moins facilement d’accord quand il s’agit de nommer le député qui serait le chef de cette mission et, par deux fois, Barsac et Baudrières recueillirent un nombre de suffrages mathématiquement égal.

Il fallait cependant en finir.

— Parbleu ! qu’on les nomme tous les deux ! s’écria un de ces plaisants qui ne manquent jamais dans une assemblée française.

Cette idée ayant été accueillie avec enthousiasme par la Chambre, qui, sans doute, y voyait un moyen de ne plus entendre parler des colonies pendant quelques mois, Barsac et Baudrières furent élus, l’âge devant décider lequel des deux aurait le pas sur l’autre. Vérification faite, ce privilège échut à Barsac, qui se trouva être l’aîné de trois jours. Baudrières dut donc se résigner à n’être que son coadjuteur, ce dont il fut extrêmement mortifié.

À ce rudiment de mission, le gouvernement avait adjoint par la suite quelques personnalités, moins décoratives assurément, mais peut-être mieux qualifiées, si bien qu’à son arrivée à Konakry elle comportait sept membres au total, y compris Barsac et Baudrières déjà nommés.

Parmi les autres, on remarquait le docteur Chatonnay, un grand médecin et un médecin grand, car il était fort savant et il élevait à plus de cinq pieds huit pouces son joyeux visage, que couronnait une chevelure frisée aussi blanche que la neige, bien qu’il n’eût pas tout à fait cinquante ans, et que barrait une moustache en broussaille de même couleur. C’était un excellent homme que ce docteur Chatonnay, sensible et gai, et riant à tout propos avec un bruit de vapeur qui fuse.

On remarquait encore à la rigueur M. Isidore Tassin, correspondant de la Société de géographie, un petit homme sec et tranchant, passionnément et exclusivement géographe.

Quant aux derniers membres de la mission, MM. Poncin, Quirieu et Heyrieux, tous trois fonctionnaires de divers ministères, on ne les remarquait pas. Sans particularité notable, c’étaient des gens comme tout le monde.

Autour de ce noyau officiel gravitait, très officieusement, un huitième voyageur. Celui-ci, un blond à l’air énergique et décidé, avait nom Amédée Florence, et son métier consistait à renseigner de son mieux le grand journal quotidien L’Expansion française, dont il était le reporter actif et débrouillard.

Tels furent les personnages qui débarquèrent, ce jour-là, 27 novembre, du paquebot le Touat, de la Compagnie Frayssinet.

L’événement devait nécessairement provoquer des discours. Pour peu que l’on fasse partie du personnel administratif ou gouvernemental, on ne se contente plus, lorsqu’on