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l’île à hélice.

se prolonge jusqu’aux arrière-plans des montagnes, dominées par le pic du Mbugge-Levou.

Entre ces massifs se détachent une ou deux usines à l’européenne, peu en rapport avec la nature sauvage du pays. Ce sont des fabriques de sucre, munies de tous les engins de la machinerie moderne, et dont les produits, a dit un voyageur, M. Verschnur, « peuvent avantageusement soutenir la comparaison vis-à-vis des sucres des Antilles et des autres colonies ».

Vers une heure, l’embarcation arrive au terme de son voyage sur la Rewa. Dans deux heures, le jusant se fera sentir, et il y aura lieu d’en profiter pour redescendre la rivière. Cette navigation de retour s’effectuera rapidement, car le reflux est vif. Les excursionnistes seront rentrés à Tribord-Harbour avant dix heures du soir.

On dispose donc d’un certain temps en cet endroit, et comment le mieux employer qu’en visitant le village de Tampoo, dont on aperçoit les premières cases à un demi-mille. Il est convenu que le mécanicien et les deux matelots resteront à la garde de la chaloupe, tandis que le pilote « pilotera » ses passagers jusqu’à ce village, où les anciennes coutumes se sont conservées dans toute leur pureté fidgienne. En cette partie de l’île, les missionnaires ont perdu leurs peines et leurs sermons. Là règnent encore les sorciers ; là fonctionnent les sorcelleries, surtout celles qui portent le nom compliqué de « Vaka-Ndran-ni-Kan-Tacka », c’est-à-dire « la conjuration pratiquée par les feuilles ». On y adore les Katoavous, des dieux dont l’existence n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin, et qui ne dédaignent pas des sacrifices spéciaux, que le gouverneur général est surtout impuissant à prévenir et même à châtier.

Peut-être eût-il été plus prudent de ne point s’aventurer au milieu de ces tribus suspectes. Mais nos artistes, curieux comme des Parisiens, insistent, et le pilote consent à les accompagner, en leur recommandant de ne point s’éloigner les uns des autres.

Tout d’abord, à l’entrée de Tampoo, formé d’une centaine de paillotes, on rencontre des femmes, de véritables sauvagesses.