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KÉRABAN-LE-TÊTU.

mer d’Azof jusqu’aux premiers contreforts du Caucase ? Quelle prolongation de voyage ! Que de temps perdu ! Que d’intérêts compromis ! Comment serait-on à Scutari pour la date du 30 septembre ?

Voilà quelles réflexions se faisait Ahmet, pendant que la chaise roulait à travers la presqu’île. Avant deux heures, elle aurait atteint le détroit, et l’oncle saurait à quoi s’en tenir. Convenait-il, dès à présent, de le préparer à cette grave éventualité ? Mais, alors, que d’adresse à déployer pour que la conversation ne dégénérât pas en discussion, et de discussion en dispute ! Si le seigneur Kéraban s’entêtait, rien ne le ferait démordre de son idée, et, bon gré, mal gré, il obligerait la chaise de poste à reprendre le chemin de Kertsch.

Ahmet ne savait donc à quel parti s’arrêter. S’il avouait sa ruse, il risquait de mettre son oncle hors de lui ! Ne vaudrait-il pas mieux, dût-il passer lui-même pour un ignorant, feindre la plus parfaite surprise, en trouvant un détroit là où l’on croyait trouver la terre ferme ?

« Qu’Allah me vienne en aide ! » se dit Ahmet.

Et il attendit avec résignation que le Dieu des musulmans voulût bien le tirer d’affaire.