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un ennemi sur vingt-cinq millions d’amis.

de son pays, et s’il est un droit que l’Union puisse revendiquer, c’est celui de receler dans ses flancs le formidable canon du Gun-Club. Or, dans les circonstances actuelles…

— Brave Maston… dit le président.

— Permettez-moi de développer ma pensée, reprit l’orateur. Dans les circonstances actuelles, nous sommes forcés de choisir un lieu assez rapproché de l’équateur, pour que l’expérience se fasse dans de bonnes conditions…

— Si vous voulez bien… dit Barbicane.

— Je demande la libre discussion des idées, répliqua le bouillant J.-T. Maston, et je soutiens que le territoire duquel s’élancera notre glorieux projectile doit appartenir à l’Union.

— Sans doute ! répondirent quelques membres.

— Eh bien ! puisque nos frontières ne sont pas assez étendues, puisque au sud l’Océan nous oppose une barrière infranchissable, puisqu’il nous faut chercher au-delà des États-Unis et dans un pays limitrophe ce vingt-huitième parallèle, c’est là un casus belli légitime, et je demande que l’on déclare la guerre au Mexique !

— Mais non ! mais non ! s’écria-t-on de toutes parts.

— Non ! répliqua J.-T. Maston. Voilà un mot que je m’étonne d’entendre dans cette enceinte !

— Mais écoutez donc !…

— Jamais ! jamais ! s’écria le fougueux orateur. Tôt ou tard cette guerre se fera, et je demande qu’elle éclate aujourd’hui même.

— Maston, dit Barbicane en faisant détonner son timbre avec fracas, je vous retire la parole ! »

Maston voulut répliquer, mais quelques-uns de ses collègues parvinrent à le contenir.

« Je conviens, dit Barbicane, que l’expérience ne peut et ne doit être tentée que sur le sol de l’Union, mais si mon impatient ami m’eût laissé parler, s’il eût jeté les yeux sur une carte, il saurait qu’il est parfaitement inutile de déclarer la guerre à nos voisins, car certaines frontières des États-Unis s’étendent au-delà du vingt-huitième parallèle. Voyez, nous avons à notre disposition toute la partie méridionale du Texas et des Florides. »

L’incident n’eut pas de suite ; cependant, ce ne fut pas sans regret que J.-T. Maston se laissa convaincre. Il fut donc décidé que la Columbiad serait coulée, soit dans le sol du Texas, soit dans celui de la Floride. Mais cette décision devait créer une rivalité sans exemple entre les villes de ces deux États.