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ce qu’il n’est pas possible d’ignorer, etc..

son cercle d’attraction. Ces astronomes de salon prétendaient expliquer ainsi l’aspect brûlé de la Lune, malheur irréparable dont ils se prenaient à l’astre radieux. Seulement, quand on leur faisait observer que les comètes ont une atmosphère et que la Lune n’en a que peu ou pas, ils restaient fort empêchés de répondre.

D’autres, appartenant à la race des trembleurs, manifestaient certaines craintes à l’endroit de la Lune ; ils avaient entendu dire que, depuis les observations faites au temps des Califes, son mouvement de révolution s’accélérait dans une certaine proportion ; ils en déduisaient de là, fort logiquement d’ailleurs, qu’à une accélération de mouvement devait correspondre une diminution dans la distance des deux astres, et que, ce double effet se prolongeant à l’infini, la Lune finirait un jour par tomber sur la Terre. Cependant, ils durent se rassurer et cesser de craindre pour les générations futures, quand on leur apprit que, suivant les calculs de Laplace, un illustre mathématicien français, cette accélération de mouvement se renferme dans des limites fort restreintes, et qu’une diminution proportionnelle ne tardera pas à lui succéder. Ainsi donc, l’équilibre du monde solaire ne pouvait être dérangé dans les siècles à venir.

Restait en dernier lieu la classe superstitieuse des ignorants ; ceux-là ne se contentent pas d’ignorer, ils savent ce qui n’est pas, et à propos de la Lune ils en savaient long. Les uns regardaient son disque comme un miroir poli au moyen duquel on pouvait se voir des divers points de la Terre et se communiquer ses pensées. Les autres prétendaient que sur mille nouvelles Lunes observées, neuf cent cinquante avaient amené des changements notables, tels que cataclysmes, révolutions, tremblements de terre, déluges, etc. ; ils croyaient donc à l’influence mystérieuse de l’astre des nuits sur les destinées humaines ; ils le regardaient comme le « véritable contre poids » de l’existence ; ils pensaient que chaque Sélénite était rattaché à chaque habitant de la Terre par un lien sympathique ; avec le docteur Mead, ils soutenaient que le système vital lui est entièrement soumis, prétendant, sans en démordre, que les garçons naissent surtout pendant la nouvelle Lune, et les filles pendant le dernier quartier, etc., etc. Mais enfin il fallut renoncer à ces vulgaires erreurs, revenir à la seule vérité, et si la Lune, dépouillée de son influence, perdit dans l’esprit de certains courtisans de tous les pouvoirs, si quelques dos lui furent tournés, l’immense majorité se prononça pour elle. Quant aux Yankees, ils n’eurent plus d’autre ambition que de prendre possession de ce nouveau continent des airs et d’arborer à son plus haut sommet le pavillon étoilé des États-Unis d’Amérique.