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l’épave du cynthia.

quelle grande famille humaine il se rattache ! se disait-il parfois quand il songeait à ces choses. Moi, je l’ignore ! Je suis sur le globe terrestre comme une épave, comme un grain de poussière apporté par le vent et qui ne sait pas d’où il vient ! Je n’ai pas de racines, pas de traditions, pas de passé ! La terre où ma mère est née, où ses restes reposent ou reposeront, peut être déshonorée par l’étranger, foulée aux pieds par lui, sans qu’il me soit donné de la défendre et de verser mon sang pour elle ! »

Cette pensée attristait le pauvre Erik. Dans ces moments, il avait beau se dire qu’il avait trouvé une mère en dame Katrina, un foyer chez maaster Hersebom, une patrie à Noroë, il avait beau se jurer de leur rendre ces bienfaits au centuple, et toujours être pour la Norvège le plus dévoué des fils, il se sentait dans une situation exceptionnelle.

Il n’est pas jusqu’aux différences physiques qu’il remarquait entre son entourage et lui, jusqu’à la couleur de ses yeux et de sa peau, saisie au passage dans un miroir, dans une vitre de magasin, qui ne le ramenât à chaque instant à cette pensée douloureuse. Parfois il se demandait quelle patrie il préférerait dans le monde, s’il avait le choix. C’est à ce point de vue spécial qu’il étudiait l’histoire et la géographie, qu’il passait en revue les civilisations et les peuples. Il éprouvait une espèce de consolation à pouvoir se dire au moins qu’il était de race celtique, et cherchait dans les livres la confirmation du fait affirmé par le docteur.