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critique et conférences

pourquoi, figuré le poète tout autre. C’était, pour le moment, une vraie tête d’enfant, dodue et fraîche sur un grand corps osseux et comme maladroit d’adolescent qui grandissait encore et de qui la voix, très accentuée en ardennais, presque patoisante, avait ces hauts et ces bas de la mue.

On dîna. Notre hôte fit honneur surtout à la soupe et, pendant le repas resté plutôt taciturne, ne répondant que peu à Cros, qui peut-être ce premier soir-là se montrait un peu bien interrogeant, aussi ! allant, en analyste sans pitié, jusqu’à s’enquérir comment telle idée lui était venue, pourquoi il avait employé plutôt ce mot que tel autre, lui demandant en quelque sorte compte de la « genèse » de ses poèmes. L’autre, que je n’ai jamais connu beau causeur, ni même très communicatif en général, ne répondait guère que par monosyllabes plutôt ennuyés. Je ne me souviens que d’un mot qu’il « eut » à propos des chiens (celui de la maison nommé Gastineau, pourquoi ? un échappé à la Saint-Barthélémy du Siège, gambadait autour de la table) : « Les chiens, dit Rimbaud, ce sont des libéraux. » Je ne donne pas le mot comme prodigieux, mais je puis attester qu’il a été prononcé. La soirée ne se prolongea pas tard, le nouveau venu témoignant que le voyage l’avait quelque peu fatigué…