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MAL’ARIA


Êtes-vous comme moi ! Je déteste les gens qui ne sont pas frileux. Tout en les admirant à genoux, je me sens antipathique à une foule de peintres et de statuaires justement illustres. Les personnes douées de rires violents et de voix énormes me sont antipathiques. En un mot, la santé me déplaît.

J’entends par santé, non cet équilibre merveilleux de l’âme et du corps qui fait les héros de Sophocle, les statues antiques et la morale chrétienne, mais l’horrible rougeur des joues, la joie intempestive, l’épouvantable épaisseur du teint, les mains à fossettes, les pieds larges, et ces chairs grasses dont notre époque me semble abonder plus qu’il n’est séant.

Pour les mêmes motifs j’abhorre la poésie prétendue bien portante. Vous voyez cela d’ici : de belles filles, de beaux garçons, de belles âmes, le tout l’un dans l’autre : mens sana… et puis, comme décor, les bois verts, les prés verts, le ciel bleu, le soleil d’or et les blés blonds… J’abhorre aussi cela. Êtes-vous comme moi ?