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pierre duchatelet

d’un vernis que je ne vous en dis que ça, montant jusqu’au genou, ah mais vrai, on se met bien au 16e.

L’excellent bougre, haussant sa voix jusqu’à des diapasons inconnus même aux plus étonnants marchefs, commanda :

— Halte !

Et ajouta :

— Pas tant de potin. Silence ! L’ennemi est là, à deux pas. De la dignité, du silence, surtout du silence ! C’est l’A B C de la stratégie, ça, le silence. Et maintenant, citoyens, en tirailleurs.

On se disposa en assez bon ordre en tirailleurs.

Pierre, isolé de dix mètres entre deux camarades, se coucha dans la boue, le fusil contre la joue, tenu sur les coudes et attendit.

La plaine grise rejoignait au loin le ciel gris ; vers l’horizon, des murs gris de jardins, de cimetières, s’étiraient tristement par places ; des balles prussiennes en sortaient à tout bout de champ, faisant tout près, devant, derrière, sauter la terre en petites mottes de boue qui fumaient. Quelquefois un des tirailleurs criait dans des convulsions : c’était une balle qui avait atteint son but entre mille et mille.

À gauche, loin, loin, en avant des forts, une canonnade sérieuse grommelait comme un coup de tonnerre qui n’en finirait pas. En même temps,