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louise leclercq

de M. l’abbé de Guimard, le second vicaire si malheureusement enlevé l’année dernière par les suites d’une bronchite contractée au confessionnal pendant l’effroyable hiver de 1879, à l’affection de son vénérable supérieur, de ses dignes confrères et de tous les paroissiens de Sainte-Marie des Batignolles. Par un sentiment exquis des délicatesses d’une âme de jeune fille, par un tact presque instinctif, infiniment supérieur à leurs habitudes de vie et de raisonnement, les Leclercq avaient compris qu’il fallait à Louise une atmosphère intellectuelle et morale qui fût autre que la leur, moins épaisse, moins saturée d’odeurs mercantiles. De la boutique paternelle elle ne connaissait en quelque sorte que la quintessence, l’expression abstraite seule, la résultante intellectuelle, l’esprit, je veux dire la comptabilité, que ses parents n’eussent pu tenir et dont ils se félicitaient chaque jour de l’avoir chargée en remplacement d’une mercenaire, tant elle s’en acquittait avec zèle et vaillance. Une poésie s’en dégageait pour elle, mêlée aux senteurs prédominantes de l’épicerie, les plus fines ensemble et les plus fortes, les plus intelligentes si l’on peut ainsi parler, cannelles et vinaigres, cires et fruits confits, oranges et citrons, qui lui arrivaient par bouffées vagues, à travers la porte souvent entrebâillée de l’arrière-boutique, où elle se tenait la plupart du temps.