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POÈMES SATURNIENS


Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique
Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air
De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique,
L’air de chasse de Tannhauser.

Des chants voilés de cors lointains où la tendresse
Des sens étreint l’effroi de l’âme en des accords
Harmonieusement dissonnants dans l’ivresse ;
Et voici qu’à l’appel des cors

S’entrelacent soudain des formes toutes blanches,
Diaphanes, et que le clair de lune fait
Opalines parmi l’ombre verte des branches,
— Un Watteau rêvé par Raffet ! —

S’entrelacent parmi l’ombre verte des arbres
D’un geste alangui, plein d’un désespoir profond ;
Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres
Très lentement dansent en rond.

— Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée
Du poète ivre, ou son regret, ou son remords,
Ces spectres agités en tourbe cadencée,
Ou bien tout simplement des morts ?

Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu’invite
L’horreur, ou ton regret, ou ta pensée, — hein ? — tous
Ces spectres qu’un vertige irrésistible agite,
Ou bien des morts qui seraient fous ? —