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L'ANARCHISTE

lui. Où est-il ? Que fait-il en ce moment ?… Comme il doit être malheureux !… Pourra-t-il, seulement, trouver un peu de pain pour vivre ?… Il n’avait rien quand il est parti, même pas de quoi abriter son corps contre le froid. Pourquoi ces paysans l’ont-ils insulté ? Je les hais et les maudis de toute la force de mon être !… Voyons, on n’accable pas un malheureux quand on est trois contre lui, et qu’on le juge incapable de se défendre !… Il s’est détendu tout de même, il a eu raison !

— Claudie ! que dites-vous ? Le chagrin vous rend folle ! Vous oubliez que ces hommes étaient plus ivres encore que votre amant, et qu’ils ne savaient ce qu’ils faisaient. D’ailleurs, on ne doit jamais verser le sang, et tout ce que vous alléguerez pour la défense de Jacques n’empêchera pas qu’il ne soit un assassin !

Je regrettai aussitôt mes sévères paroles, car la pauvre fille n’était plus en état de juger le juste et l’injuste. Ce qu’elle savait, c’est qu’on lui avait tailladé le cœur, et que ce cœur pantelant saignait par toutes ses plaies. Ce qu’elle savait, c’est que l’unique amour de sa vie lui était ravi par la faute d’êtres grossiers et cruels, que jamais plus il ne refleurirait si son homme était perdu, et que l’agonie de son être serait doublée de l’agonie de son âme. Sur sa route elle n’avait trouvé que