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L'ANARCHISTE

détruit ma gentillesse, et je ne rapportai qu’une très petite somme. Mais, ce qui me brisa le cœur, c’est que Jacques me reçut avec des injures plein la bouche, et qu’il me jeta dehors avec la poignée de pièces blanches que je lui offrais ! Mon Jacques, si doux, était comme un forcené. Jamais je ne lui avais vu cet air terrible, ces poings frémissants… Je m’enfuis désolée, et, pendant six semaines, je n’osai retourner devant sa maison. C’est pendant ces six semaines que je connus toutes les tortures, tous les désespoirs ! Oh ! si la mort avait voulu de moi !… Pourtant, l’amour me tirait vers lui de jour en jour plus violemment. Enfin, je ne pus y tenir, et, faisant taire mes appréhensions, je courus me blottir devant sa porte… Je restai là pendant des heures, puis, l’émotion et la fatigue furent trop fortes, je perdis connaissance… Vous savez le reste, Monsieur. »

En effet, je savais le reste, et mes yeux se remplissaient de larmes à voir cette pauvre créature si résignée, si intéressante, malgré son effroyable passé.

J’essayai aussi d’interroger Jacques, mais il ne me répondit que par des paroles vagues.

— A quoi bon vous raconter ma vie ?… Elle est semblable à celle de tous les malheureux ! Ce n’est point en étalant nos misères que nous les soulagerons, c’est en agissant. Ma conscience est droite,