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L'ANARCHISTE

votre enfance, votre jeunesse… Est-ce un accident qui vous a rendue boiteuse ?

— Pourquoi remuer cette fange ? Vous en aurez le cœur soulevé, Monsieur.

— Qu’importe ! Plus vous remuerez de fange, plus vous sortirez pure de votre affreux passé, ma pauvre fille. Parlez sans crainte, j’ai deviné, déjà, une partie de la vérité.

— Je suis née, je pense, derrière la butte Montmartre, dans une cité infecte, sans cesse obstruée de boue et de détritus. La cour, un terrain ravagé, creusé de fondrières, était métamorphosée en cloaque, car il n’y avait ni fosse, ni puisard, et l’odeur qu’elle répandait empoisonnait l’air. Là, dans des taudis faits de planches et de terre, croupissaient une centaine d’êtres qui avaient à peine apparence humaine. Etais-je la fille des gens qui me forçaient à mendier tout le jour et m’accablaient de coups lorsque je revenais les mains vides, je ne le crois pas ; et bien des indices que j’ai recueillis depuis me confirment dans ce doute. La femme rentrait ivre et en sang, après des bordées de huit jours, l’homme faisait la fête au logis avec l’argent que mes sœurs rapportaient le soir. Jamais je ne suis entrée sans dégoût dans la tanière qui nous servait de logis ; l’haleine nauséabonde de vice et de misère qui me frappait au visage m’écœurait jusqu’à la nausée. L’homme qui,