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RÉINCARNATION

Il avait, m’a-t-il dit, toujours réalisé ce qu’il avait voulu, parce que son désir savait s’imposer dans sa toute-puissance, comme s’impose ce qui est véritablement grand et fort.

Les hommes ont été des instruments dociles entre ses mains, il aurait pu conquérir une magnifique situation dans ce pays, si son ambition n’avait eu de plus hautes visées.

Il est nécessaire, pour l’explication de ce qui va suivre, de remonter le cours des années, et de raconter oe qui fut le bonheur, le but et la raison même de sa bizarre existence. Tout jeune, il avait été fiancé à une fillette que ses parents avaient vue naître, et qu’une grosse fortune, un grand nom et d’anciennes relations de famille recommandaient particulièrement à leur choix.

Bérengère avait un esprit impérieux, une nature ardente et passionnée, et, grandissant avec Ghislain, elle s’habitua à le considérer comme le fiancé, le compagnon naturel de toute sa vie. Le jeune homme n’opposait point de résistance à ces combinaisons, indécis encore sur ses propres sentiments ; car le caractère de l’homme se développe beaucoup plus lentement que celui de la femme, et tel qui doit, plus tard, bouleverser le monde n’offre parfois dans son enfance qu’une volonté hésitante soumise à une intelligence entourée de brumes.