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UNE VENGEANCE

commençais seulement à sentir et à penser, tant mon existence, jusque-là, avait été environnée de brumes. Comme le papillon sortant de sa chrysalide, je m’aperçus que le soleil brillait et que des fleurs s’entr’ouvraient sur leurs tiges. Un grand souffle de bonheur gonfla ma poitrine : tout ce qui m’avait semblé terne et misérable devint un enchantement. Tel, sans doute, le juste, au seuil du paradis, se sent inondé d’une félicité sans bornes, et trébuche dans l’azur sous l’ivresse de ses impressions. Nous nous aimâmes dès le premier jour, et, comme elle ignorait la feinte et le mensonge, elle quitta son mari pour me suivre, en me suppliant de la cacher dans une retraite ignorée de tous. Elle craignait, a juste titre, la fureur de cet homme que des parents cupides avaient lié à elle, sans consulter son cœur. Il était puissamment riche, et la balance avait penché en sa faveur, malgré sa dépravation notoire, sa rudesse et la crainte qu’il semblait semer autour de lui. Bérénice était sa compagne depuis trois ans et deux enfants étaient nés de cette union, deux pauvres êtres élevés au loin que la mère ne voyait jamais, malgré ses prières et ses pleurs. Rien ne l’attachait donc à ce mari que la parole donnée devant les hommes et devant Dieu. Mais le divorce dénoue ce que les humains ont uni, et Dieu ne peut vouloir ce qui est injuste et cruel.