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UNE VENGEANCE

et l’abandon !… J’étais dans cet état de lassitude où les nerfs sensibilisés vibrent aux moindres excitations. Une feuille tomba près de moi ; son bruissement furtif me fit tressaillir, et, incapable de faire un pas de plus, je m’assis sur la mousse, les regards tristement tournés vers la demeure de mon ami. De longues lézardes couraient sur les murs, les carreaux, illuminés par les rayons d’agonie du soir, brûlaient d’une lueur intense aux étages supérieurs, tandis que des ombres sinistres montaient comme une mer, noyant le bas de la maison qui semblait s’engloutir peu à peu comme un vaisseau naufragé.

Ces sortes de visions étant plutôt morales que physiques s’effacent avec rapidité. J’étais, à n’en pas douter, la victime de cet abattement intellectuel que nous subissons mystérieusement à certains moments de la vie, et qui est comme un avertissement du néant de nos efforts et de nos ambitions.

Je résolus, s’il en était temps encore, d’enlever Georges de ce lieu malsain qui avait dû favoriser le mal dont il souffrait ; et, secouant ma torpeur, je me remis en route.

En arrivant à la grille, je vis un chien de Terre-Neuve étendu sur le sol ; une écume sanglante lui sortait de la gueule, il ne remuait plus. Je le tâtai, il était chaud encore, et venait d’être tué d’un coup de fusil, au cœur.