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LE CENTENAIRE D'EMMANUEL

mon âme brûlante ! quels sanglots, quels cris de damnés, quels blasphèmes et quelles prières !…

Je me sentais grand et fort ; des cercles de lumière passaient devant mes yeux éblouis, je marchais en battant l’air de mes mains, et mon cerveau éclatait d’enthousiasme. Je ne souffrais plus ; des visions divines me transfiguraient: de grands paysages de lumière aux feuillages de cuivre, aux cieux de rubis ; le sable du matin fumait sous mes pas comme la poussière d’un encensoir, des fleurs de feu s’épanouissaient en croix, barrant le ciel de leurs calices immenses comme d’une braise de pierreries. Puis, le décor changea: un fleuve d’or maintenant coulait à mes pieds, et des prunelles flamboyantes me regardaient sur l’autre rive, des prunelles sans corps, enchâssées dans un brouillard de sang. La plaine immense, jusqu’au fond de l’horizon était nue et blanchie par d’innombrables ossements. J’en tendais une musique divine tellement ensorcelante que je me sentais mourir délicieusement. L’harmonie coulait en mes veines son onde voluptueuse. J’étais réchauffé, malgré la pluie qui ruisselait de mes vêtements.

Pendant que mon misérable corps s’en allait sur la route boueuse, trébuchant sur les cailloux, ramassant toute la fange des ornières, mon âme, les ailes étendues, planait dans l’immensité bleue.