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LE CENTENAIRE D'EMMANUEL

vives. Sous les fenêtres défilent les fanfares joyeuses ; le cortège officiel se forme et suit les délégations pour rendre hommage à ma statue. — Dieu, que j’ai faim !… — Je veux prendre place dans les rangs, mais on me renvoie avec indignation. Il est vrai que mes vêtements sont usés et que ma mine hâve ne doit point inspirer la confiance. Tout le monde, y compris les académiciens les moins jeunes, traverse la ville à pied. La plupart des délégués portent ou des couronnes de lauriers d’or ou des bouquets d’immortelles. Les spectateurs poussent de frénétiques acclamations. Une sueur froide descend de mon front et ruisselle sur mon visage ; mes yeux ont un éblouissement ; pourtant, je veux voir, je veux lutter jusqu’au bout. Peut-être reconnaîtra-t-on la noble intelligence qui se cache en moi. — « Emmanuel n’est pas mort… Emmanuel !… Emmanuel !… »

Ma voix domine toutes les autres ; l’on me regarde avec des huées, quelques mains se tendent pour me saisir, mais un autre spectacle attire l’attention. Sur la grande place de la ville où se dresse ma statue, une tente a été préparée pour le ministre et les principaux membres du cortège officiel. La fanfare éclate en notes stridentes, puis toutes les chorales réunies entonnent un hymne formidable…

Je tombe accablé sur une borne, les jambes