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NIHILISTE

avions si joyeusement déjeuné au dernier printemps. Une bombe avait fait explosion pendant une expérience imprudemment dirigée, et la malheureuse avait été mortellement atteinte. Quand on la ramassa, pantelante, mutilée, elle ne formait plus qu’un hideux amas de chairs pilées, de membres tordus, noircis, recroquevillés, flambés, épouvantables ! Lorsque je la vis, ma gorge se contracta, mes entrailles frémirent ; jamais semblable impression de détresse et d’horreur ne m’avait saisi !

Elle eut encore la force de me sourire, d’un effroyable sourire de spectre, dont les lèvres violettes se tordent convulsivement sur les dents, puis elle expira.

J’obtins la permission de la garder jusqu’au lendemain, et on la transporta dans ma chambre. Quand je voulus ôter les lambeaux d’étoffe qui la recouvraient, la chair s’en alla avec, découvrant les côtes, creusant des trous d’où le sang noir coulait comme une boue. Mes nerfs ne purent en supporter davantage, je m’évanouis. Quand je revins à moi, elle était enfermée dans son cercueil, et je ne la vis plus. J’ordonnai à mes domestiques de me laisser seul, et je m’étendis sur la sinistre boîte, priant et pleurant, l’appelant avec des cris de rage, la suppliant de m’apparaître telle qu’elle avait été, telle que je l’avais

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