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L'ANARCHISTE

Plus de trépignements hystériques au-dessus de ma tête, plus de trilles aussi malfaisants qu’une salade de piments verts ! Les Yseult aux longues dents, les Edmée aux tailles plates et les Isabeau aux grands pieds étaient en train de faire tourner l’onde amère comme une vulgaire mayonnaise !…

Jamais je ne quitte mon appartement du boulevard Saint-Germain pendant ces deux mois de vacances si doux à la rêverie du poète. Il me semble que la grande ville est à moi, que je suis seul à apprécier le charme de ses murs frais, de ses trottoirs si agréablement ombragés. Je m’y promène en maître, indulgent aux mendiants et aux gueux de toute sorte qui fleurissent au coin des rues, sous l’œil apaisé des sergents de ville.

J’étais donc perdu dans ma songerie, et je m’assoupissais même aux gémissements poussifs d’un orgue de Barbarie, lorsqu’un cri aigu, suivi de la chute d’un corps sur le trottoir, me tira de mon engourdissement. Il y avait là, sous ma fenêtre, une femme étendue que l’obscurité m’empêchait de bien distinguer. D’ailleurs, un rassemblement se formait déjà autour d’elle et, dans ce grouillement de vêtements sombres, je n’aperçus plus rien. En vain essayai-je d’interroger les moins affairés : dix réponses partaient à la fois plus confuses les unes que les autres. Je pris mon chapeau et descendis dans la rue. Jean, mon