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L'ANARCHISTE

— Il me semble, mon ami, que vous vous trompez sur les sentiments des classes dirigeantes. Elles font ce qu’elles peuvent pour maintenir l’ordre et la justice ; mais leur effort est souvent bien mal récompensé. Croyez-vous qu’il soit aisé de faire entendre des sourds et de faire voir des aveugles ?

Jacques me jeta un regard courroucé et me quitta après un léger salut.

Je demeurai consterné, ne sachant comment le rappeler pour lui offrir les quelques louis que je lui destinais, et dont il semblait avoir un si pressant besoin. — Singulier garçon ! pensais-je, où la fierté va-t-elle se nicher ? Cet homme meurt de faim évidemment, et loin de chercher à se tirer de misère, il emploie ses dernières forces à se révolter. Que peut-il faire contre la société qui se soucie de lui comme d’un noyau de cerise ? Si tous ces insensés voulaient entendre raison, les immenses richesses que possède l’industrie, et les produits obtenus par le prodigieux outillage des machines qu’elle pourrait mettre en mouvement suffiraient à nourrir tous les hommes ; mais il faudrait s’entendre, et je crois que l’accord sera très difficile, étant donné que chacun tire à soi sans se soucier du voisin. Et, pourtant, que de progrès réalisés depuis un siècle !