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L'ANARCHISTE

je ne cherchais pas à m’interroger sur le genre d’intérêt qu’elle m’inspirait. Ma vue subissait sa fascination comme l’oreille subit un refrain qui s’impose, un air entendu par hasard, dont la ritournelle bourdonne dans la cervelle comme un frelon dans un verre.

Bientôt, d’autres préoccupations chassèrent le souvenir de Jacques André ; je l’oubliai même si bien que je ne pus retenir un geste de surprise lorsque je le retrouvai devant la porte de ma maison, amaigri, chancelant, méconnaissable.

— Que vous est-il donc arrivé, mon ami ?… Vous semblez sortir de maladie !

Il fut étonné de la question, mais il répondit d’une voix blanche, indifférente :

— En effet, Monsieur, je sors de maladie, et je regrette bien de n’avoir pas plié bagages pour l’éternité.

— Allons donc ! A votre âge on doit aimer la vie ! Quel si grand sujet de tristesse pouvez-vous avoir ?…

— Oh ! je ne me plains pas. Mon sort est pareil à celui des camarades, plus heureux même que celui de la plupart d’entre eux, car je n’ai ni femme ni enfant à nourrir.

Je pensais à la boiteuse, mais je n’osais cependant l’interroger à son sujet, dans la crainte qu’elle ne l’eût quitté pour aller chercher asile