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Ce fut ce soir-là, entre Dijon et Lyon, qu’Aurore, tendrement blottie contre moi, dans notre solitaire compartiment de wagons-lits, me reparla de son père et de l’intuition qu’elle avait eue de sa mort, en me voyant avec Nathan, sur le quai de la gare d’Austerlitz.

« Je m’en doutais, je le pressentais », s’était-elle bornée à me répondre, lorsque je l’interrogeais, les jours précédents.

Cette fois, elle s’expliqua enfin.

— Mon père, depuis qu’il touchait à la réussite de sa découverte, semblait soucieux. Chose qu’il n’avait jamais faite, il se préoccupait du sort de son invention : « Est-ce que je travaille vraiment au bonheur de l’humanité ? » Et il m’exposait ses doutes. J’avais beau lui rappeler le principe qu’il m’avait inculqué : « Trouver, seul, importe ; le savant n’a pas à s’inquiéter des applications qu’on fera de sa science ». Il hochait la tête sans répondre. Un article que je lui lus, dans L’Orléans Républicain, l’affecta profondément. C’était signé d’un certain lieutenant-colonel Verdier, qui prônait l’utilisation guerrière de l’énergie intraatomique pour construire des engins destructeurs capables d’anéantir des armées entières, 100 000 hommes en dix secondes. « Il n’y a pas de doute, voilà à quoi servira ma découverte ! » dit mon père tristement. Et il me tenait des discours tout nouveaux : « Ah ! si elle pouvait n’être mise qu’aux mains des sages, des initiés, comme jadis dans l’antiquité. Les savants devraient user d’une langue