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« Tout à coup, droit devant moi qui fuyais, une femme s’arrêta ; je la vois avec sa robe couleur Ipsiboé, ses manches à la folle et son turban à la sultane. Elle leva la tête en pleine lumière s’apprêtant à me murmurer des banalités engageantes, des cajoleries pleines de séduction… Mais aussitôt elle poussa un cri strident, inhumain, terrible, de femme assassinée, et elle tomba à mes genoux comme frappée de la foudre, les mains sur les yeux, sanglotant dans l’attitude de Marie-Madeleine au pied de la Croix. J’étais pétrifié et sans voix, j’avais entrevu, le croiras-tu ? j’avais reconnu Juliette, ma Juliette tant pleurée ; je voulais douter, nier l’évidence, croire à une vision affolante ; ses mains me serraient les genoux et je sentais sa tête convulsivement agitée par des râles affreux de douleur. Je la relevai, sans avoir la conscience de mon action, je la pris et l’emportai sur un banc isolé… Elle cachait son visage noyé de larmes et je ne voyais d’elle que sa nuque charmante où des mèches rebelles tremblaient sous la bise.

« Pendant deux heures, je l’exhortai à la confiance, sans qu’elle relevât le front, pendant deux heures — penché avec horreur et tendresse sur ce joli cou que j’eusse voulu embrasser par instants, puis, pris de dégoût, percer d’un stylet —je la conjurai de se calmer, de répondre à mes questions pressées, heurtées, et brûlantes, je la suppliai de m’avouer sa chute inconsciente ou fatale. Je lui ré-