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Tel serait pour nous, en cas de guerre dans l’Inde, l’avantage de posséder les îles de France et de Bourbon, si ces deux colonies avaient acquis le degré de force et de consistance dont je les crois susceptibles.

Tel a été surtout l’avantage inappréciable des colonies de l’Amérique Septentrionale pour l’Angleterre tant qu’elles lui sont restées unies. Il est superflu de s’étendre sur une chose aussi connue.

On sait assez que nos colonies à sucre sont bien loin d’être pour nous un moyen d’attaque. Nous aurions au contraire beaucoup de peine à les défendre contre les invasions de la puissance anglaise. Quant aux ressources de finances, il est notoire que l’imposition que l’on lève dans nos colonies ne suffit pas à beaucoup près aux dépenses de sûreté et d’administration qu’elles entraînent. Restent les droits que le souverain met sur la consommation des denrées des colonies dans la métropole ; mais ces droits, payés par le consommateur national suc les sucres, sur les cafés, etc., pourraient l’être également si ces denrées nous étaient apportées par les étrangers, soit de nos propres colonies, soit des leurs.

Le revenu que le gouvernement tire des colonies est donc une ressource nulle pour l’État considéré comme puissance politique ; et si on compte ce qu’il en coûte chaque année pour la défense et l’administration des colonies, même pendant la paix, et si l’on y ajoute l’énormité des dépenses qu’elles ont occasionnées pendant nos guerres, quelquefois sans pouvoir les conserver, et les sacrifices qu’il a fallu faire, à la paix, pour n’en recouvrer qu’une partie, on sera tenté de douter s’il n’eût pas été plus avantageux pour nous de les abandonner à leurs propres forces avec une entière indépendance, même sans attendre le moment où les événements nous forceront de prendre ce parti, comme je l’ai insinué plus haut.

Il n’y a pas bien longtemps que cette manière de voir eût été traitée comme un paradoxe insoutenable, et fait pour être rejeté avec indignation. On pourra en être moins révolté maintenant, et peut-être n’est-il pas sans utilité de se préparer d’avance des consolations pour les événements auxquels on peut s’attendre.

Sage et heureuse sera la nation qui, la première, saura plier sa politique aux circonstances nouvelles, qui consentira à ne voir dans ses colonies que des provinces alliées, et non plus sujettes de la métropole ! Sage et heureuse la nation qui, la première, sera convain-