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chassent pas à s’unir pour faire cause commune avec les nouveaux colons que l’Angleterre serait obligée de répandre dans ces nouveaux établissements. Si donc le gouvernement pouvait se livrer à de nouvelles entreprises, ce ne serait qu’après avoir conclu la paix avec ses colonies et en joignant leurs forces aux siennes, ce qui rentre absolument dans la première supposition, qui sera discutée par la suite.

La quatrième supposition est que la guerre se termine par l’indépendance absolue des colonies anglaises. Plus la guerre traîne en longueur, plus cette supposition paraît devoir se réaliser, et peut-être a-t-elle déjà beaucoup de vraisemblance. Cet événement sera certainement l’époque de la plus grande révolution dans le commerce et la politique, non-seulement de l’Angleterre, mais de toute l’Europe. Il est impossible de prévoir dans ses détails l’effet immédiat d’un si grand changement. Il dépendra beaucoup de la consistance que pourra prendre la constitution nouvelle de gouvernement que les colonies seront obligées de se donner ; il est possible, surtout si la guerre est longue, que les généraux prennent trop d’ascendant par la gloire qu’ils auront acquise, par l’enthousiasme qu’ils auront su inspirer à leurs soldats. Il est possible que, n’osant pas encore former des projets pour asservir un peuple enivré de la liberté qu’il vient de recouvrer par son courage, ils essayent de perpétuer leur pouvoir et de se préparer de loin une plus haute fortune, en insinuant à leur république naissante le goût des conquêtes. On peut cependant augurer de la prudence qui paraît avoir jusqu’ici présidé à la conduite des Américains, du courage et des lumières répandus parmi eux, et de leur confiance dans les sages conseils du célèbre Franklin, qu’ils auront prévu le piège, qu’ils sauront s’en garantir ; qu’ils songeront avant tout à donner une forme solide à leur gouvernement, et que par conséquent ils aimeront la paix et chercheront à la conserver.

Ils n’auront pas besoin de conquérir pour vendre les denrées dont ils sont surchargés. Il leur suffirait d’ouvrir leurs ports à toutes les nations, qui s’empresseraient de leur porter tout ce dont ils ont besoin en échange de leur superflu. Le parti le plus sage pour eux serait peut-être de s’en tenir là ; car, tant qu’ils auront des terres à offrir aux accroissements de leur population, les salaires seront toujours trop chers parmi eux pour qu’ils puissent établir des manufactures en concurrence avec les nations européennes ; et les mêmes bras