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Pour faire disparaître cet esprit de désunion qui décuple les travaux de vos serviteurs et de Votre Majesté, et qui diminue nécessairement et progressivement votre puissance ; pour y substituer, au contraire, un esprit d’ordre et d’union qui fît concourir les forces et les moyens de votre nation au bien commun, les rassemblât dans votre main, les rendît faciles à diriger, il faudrait imaginer un plan qui liât l’une à l’autre toutes les parties du royaume par une instruction à laquelle on ne pût se refuser, par un intérêt commun très-évident, par la nécessité de connaître cet intérêt, d’en délibérer et de s’y conformer ; il faudrait attacher les individus à leurs familles, les familles au village ou à la ville à qui elles tiennent, les villes et les villages à l’arrondissement dans lequel ils sont compris, les arrondissements aux provinces dont ils font partie, les provinces enfin à l’État. J’oserai proposer à Votre Majesté, sur ces différents objets si propres à intéresser son cœur bienfaisant et son amour pour la véritable gloire, plusieurs établissements dont je développerai les avantages à mesure que j’en ferai passer le projet sous vos yeux.

De la manière de préparer les individus et les familles à bien entrer dans une bonne constitution de société. — La première et la plus importante de toutes les institutions que je croirais nécessaires, celle qui me semble la plus propre à immortaliser le règne de Votre Majesté, celle qui doit influer le plus sur la totalité du royaume, serait, sire, la formation d’un Conseil de l’instruction nationale, sous la direction duquel seraient les académies, les universités, les collèges, les petites écoles. Le premier lien des nations est les mœurs ; la première base des mœurs est l’instruction prise dès l’enfance sur tous les devoirs de l’homme en société. Il est étonnant que cette science soit si peu avancée. Il y a des méthodes et des établissements pour former des géomètres, des physiciens, des peintres. Il n’y en a pas pour former des citoyens. Il y en aurait, si l’instruction nationale était dirigée par un de vos Conseils, dans des vues publiques, d’après des principes uniformes. Ce Conseil n’aurait pas besoin d’être très-nombreux, car il est à désirer qu’il ne puisse avoir lui-même qu’un seul esprit. Il ferait composer dans cet esprit les livres classiques d’après un plan suivi, de manière que l’un conduisît à l’autre, et que l’étude des devoirs du citoyen, membre d’une famille et de l’État, fût le fondement de toutes les autres études, qui seraient rangées dans l’ordre de l’utilité dont elles peuvent être à la patrie.