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que je lui propose, qui ne sont, comme on le voit, que des opérations de bienfaisance ; elles n’en essuieront pas moins de contradictions, mais ces contradictions seront facilement vaincues si Votre Majesté le veut[1].


Observations de garde des sceaux et contre-observations de Turgot
sur la suppression de la corvée[2].

Observations du garde des sceaux. — Il n’est pas possible de refuser aux intentions dans lesquelles ce projet a été dressé un hommage que la vérité exige. Il annonce des vues d’humanité et des principes de justice louables à tous égards, et quoique les observations que je vais proposer semblent être contre ses dispositions, mon dessein est moins d’opposer une véritable contradiction, que de discuter comme elle le mérite une matière si importante.

Sur le préambule — Il est certain que la confection des grandes routes est absolument nécessaire pour faciliter le transport des marchandises et des denrées, pour la sûreté des voyageurs, et par conséquent pour rendre le commerce plus avantageux et le royaume plus policé et plus florissant.

Les avantages que l’État en doit retirer sont si évidents, si certains, que ce fut un des premiers objets dont M. le duc de Sully s’occupa lorsque Henri IV fut affermi sur le trône, et que ce ministre si vertueux et si sincèrement attaché à son maître et à la patrie fit commencer des plans et des alignements, et planter dans plusieurs provinces des arbres pour en conserver les traces. Il n’y a pas longtemps que l’on voyait encore, même dans des provinces assez éloignées, de ces arbres qui avaient conservé le nom de Rosnis.

Il eût été difficile que M. le duc de Sully eût pu pousser bien loin l’exécution de son projet à cet égard. Le règne tranquille de Henri IV n’a pas duré assez longtemps ; d’ailleurs la guerre que ce monarque était sur le point d’entreprendre, lorsque la France eut le malheur de le perdre, aurait pu consommer les épargnes que son ministre avait faites, et le forcer non-seule-

  1. On a signalé, dans la notice sur Turgot, la conduite tenue par le Parlement lors de la sédition du mois de mai 1775. Ces projets d’édits lui servirent de prétexte pour démasquer complètement la haine qu’il portait, sinon à la personne, du moins aux idées du nouveau contrôleur-général. Il ne voulut enregistrer, de toutes ces lois, que celle qui se rapportait à la Caisse de Poissy, et il fallut un lit de justice pour lui faire accepter les cinq autres.

    Ce corps, indépendamment de sa répugnance systématique pour toute réforme sérieuse, ne pardonnait pas à Turgot de s’être montré hostile à son rétablissement, qui fut, comme on sait, l’une des premières fautes commises par Louis XVI. Il avait pressenti que le ministre était de taille à retirer, une seconde fois, la couronne de la poudre du greffe, et il ne se souciait pas de voir recommencer l’œuvre du chancelier Maupeou, même avec des intentions dont la pureté fût incontestable.

    Pour compléter, autant qu’il dépendait de nous, le tableau de cette lutte de l’esprit de caste et de privilège contre l’intérêt général, on en a recueilli l’expression officielle dans le procès-verbal, que l’on donne plus loin, de la séance où furent enregistrés les édits de février 1776. (E. D.)

  2. Voyez la note de la page 237.