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reurs et des commerçants ; enfin, c’est une branche d’autorité toujours précieuse à ceux qui l’exercent.

Aussi ces règlements, malgré leur absurdité et malgré leur inexécution habituelle, ont-ils toujours été chers aux principaux magistrats et au Parlement[1]. C’est pour leur complaire que, dans la déclaration de 1763 et dans l’édit de 1764, par lesquels le feu roi a établi successivement la liberté du commerce des grains dans l’intérieur, et même la liberté de la sortie, on a laissé subsister les règlements particuliers à Paris.

Ce ménagement est précisément ce qui a fait manquer l’opération ; car il en est résulté que le commerce n’a jamais pu approvisionner Paris d’un grain de blé. Dès lors, à la première cherté, on s’est cru obligé de recourir à des moyens extraordinaires, qui ont encore plus découragé le commerce, et l’on a perdu toute confiance dans la liberté, ce qui a bientôt conduit à en abandonner les principes.

La vérité est que cette liberté n’avait point été réellement établie, puisqu’il subsistait encore des obstacles au commerce, assez forts pour détourner les négociants de former des spéculations pour l’approvisionnement de l’intérieur du royaume ; puisque le commerce était écarté des villes qui, par leur situation et par leur grandeur, étaient naturellement destinées à en devenir le centre ; puisqu’il restait interdit dans la capitale et dans un arrondissement de vingt lieues de diamètre autour de cette capitale.

Un droit excessif, imposé sur tous les grains entrant dans la ville de Bordeaux, empêchait que cette ville ne profitât de sa position, si propre à la rendre l’entrepôt de l’étranger et de l’approvisionnement des provinces méridionales.

Le commerce des grains dans la ville de Rouen était exclusivement attribué à une compagnie de cent marchands privilégiés, qui avaient seuls le droit d’acheter dans les marchés des environs ; en sorte que les riches négociants de cette ville ne pouvaient spéculer pour son approvisionnement, ce qui privait la ville de Paris des ressources que l’excédant de l’abondance de Rouen devait naturellement lui procurer.

L’arrondissement de Paris interrompant le passage des grains, la Bourgogne et la Champagne ne pouvaient secourir la Normandie,

  1. Ils ont pu étendre l’erreur sur cet objet, et je le pense. Mais ils n’ont jamais eu ce motif. (Note du garde des sceaux.)