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de compter uniquement sur la fourniture des marchés ; que l’expérience lui fera envisager dans la multiplication des magasins et la vente libre dans tous les greniers une ressource bien plus assurée, et qu’il verra faire librement le commerce de grains sous ses yeux sans en concevoir aucun ombrage. Mais, comme cette sécurité ne peut être que l’effet du temps, et comme avant qu’elle ait pu s’établir, l’augmentation occasionnée par la modicité de la dernière récolte a répandu quelques craintes, cette circonstance rend la position actuelle assez délicate.

Il me semble qu’il n’y a pas de meilleur moyen pour rassurer le peuple, sans donner atteinte à la liberté, que d’employer la persuasion pour engager quelques-uns des principaux propriétaires de grains à en faire paraître de temps en temps au marché, en le donnant au même prix qu’ils le vendent dans leurs greniers. Il ne doit pas être difficile d’y réussir, car ils y sont intéressés. S’ils doivent jouir dans le commerce de toute la protection du gouvernement, et de toute la liberté que leur assurent les deux lois solennelles de 1763 et de 1764, ils ne peuvent manquer de sentir combien il est important pour eux-mêmes de ne pas laisser le peuple concevoir contre eux des soupçons qui les rendraient les objets de sa haine, et les exposeraient à des insultes, peut-être à des violences. On punirait ces violences et ces insultes ; mais il ne serait pas moins désagréable pour eux de les avoir essuyées. Ils doivent donc, pour leur propre tranquillité, aider les magistrats à défendre la liberté du commerce, et concourir avec eux à toutes les mesures qu’ils ont à prendre pour rassurer le peuple et l’empêcher de murmurer.

Les mouvements auxquels la populace s’est déjà portée dans quelques endroits m’ont déterminé à faire publier une ordonnance pour renouveler les défenses de s’attrouper et de troubler la liberté du commerce des grains. Je l’envoie à mes subdélégués, en les chargeant de la faire publier et afficher dans tous les lieux où ils croiront cette publication utile ; car si, d’un côté, il faut que le peuple sache la résolution où est le gouvernement de maintenir avec fermeté la loi qui a établi la libre circulation des grains, et de punir sévèrement toute infraction à cette loi et toute espèce d’attroupement ; d’un autre côté, il serait imprudent de réveiller par des précautions inutiles l’attention et l’inquiétude du peuple sur des objets auxquels il ne penserait point.