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et que cette charge est incomparablement plus forte que celle que supportent les provinces voisines et la plus grande partie des autres provinces du royaume.

Le second motif est l’immense quantité d’argent que la disette des trois années 1770, 1771 et 1772 a fait sortir de la province. Nous avons prouvé, dans notre Avis donné en 1770 pour les impositions de 1771, que la quantité d’argent sortie de la province pour l’achat des grains ne pouvait pas être évaluée à moins de 3,600,000 livres, somme qui a dû être augmentée encore en 1771 et en 1772, années où la province a été encore forcée de tirer des grains du dehors.

Le troisième motif est l’énormité des arrérages que doit la province sur ses anciennes impositions. Il est établi, par le tableau de l’état des recouvrements qui a été mis sous les yeux de M. d’Ormesson, qu’au 1er janvier 1773, la généralité devait d’arrérages, outre les impositions de l’année courante, 4,702,671 livres, somme un peu plus forte que le total des impositions. Cette masse d’arrérages est formée de 2,600,000 livres dont la province était arréragée depuis un très-long temps, et de 2,100,000 livres dont l’augmentation de la misère l’a forcée de s’arrérager dans ces dernières années. Il est évidemment impossible que, si les impôts dont la province est chargée continuent d’être aussi forts, elle puisse jamais acquitter une dette si énorme. Il a été prouvé, par la visite même d’un vérificateur que le Conseil a envoyé pour approfondir les causes du retard des recouvrements, que ce retard devait être uniquement attribué à la misère qui règne dans la province. Ce n’est donc qu’en la soulageant qu’on peut espérer de ramener les recouvrements au niveau. Il est prouvé que les peuples payent à peu près chaque année une somme égale au montant des impositions, et qu’ils payent à peu près tout ce qu’ils peuvent payer. Si le roi accordait une remise très-considérable, une partie de ce que le peuple payerait serait imputée sur les anciens arrérages et en diminuerait la masse ; le roi, en faisant ce sacrifice, ne perdrait rien de réel, puisqu’il ne sacrifierait qu’une créance qu’il est démontré ne pouvoir jamais être payée. Nous nous référons pour le développement de cette vérité à ce que nous en avons dit dans notre Avis de l’année dernière, et nous finirons celui-ci en répétant, comme nous ne cessons de le faire depuis sept ans, que, pour remettre la province dans la véritable pro-