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et la détresse y est au point qu’on n’a pas même pu semer faute de semence, et que plusieurs des grains qu’on a semés n’ont pu germer en terre, parce qu’ils ne contenaient aucune farine. Je ne fais que vous répéter ce que je vous ai déjà mis sous les yeux ; mais je ne puis m’empêcher de vous redire encore qu’il est impossible de faire payer des impositions à un peuple réduit à cette extrémité. C’est un fait très-constant, que la plus grande partie des terres labourables n’ont produit aucun revenu à leurs propriétaires, et qu’ils sont obligés d’acheter du blé pour eux et pour leurs colons. Je suis obligé de vous répéter, monsieur, qu’il est indispensable de supprimer presque toute l’imposition des paroisses les plus affligées : or, le moins-imposé que vous avez procuré à la province est infiniment trop modique pour y suffire, même en n’accordant rien à tout le reste de la province.

J’ai fini mon Avis par un calcul qui vous a sans doute effrayé, et vous avez trouvé mes demandes exorbitantes : cependant je crois ce calcul exact, et je crois que vous devez être frappé du rapport précis qui se trouve entre son résultat et la somme dont la province s’est arréragée sur les recouvrements, par la seule impossibilité de payer. Je puis vous protester que je n’ai pas cherché à faire cadrer ces deux résultats, et que j’avais fait mon premier calcul avant de comparer ce que la province avait payé dans l’une et l’autre année.

Au reste, monsieur, comme je vous le disais alors, je calculais, j’exposais les besoins, je ne demandais pas ; je connaissais assez la situation de l’État menacé d’une guerre, pour ne pas espérer d’obtenir tout ce que je pensais être nécessaire ; mais il y a bien loin de 900,000 f. à 220,000 ; et je n’aurais jamais pensé qu’après vous avoir mis sous les yeux des raisons aussi fortes, vous eussiez laissé subsister sur les contribuables une charge de 60,000 fr. plus forte qu’en 1769. Si les circonstances, si les craintes de la guerre, si l’opinion de la disette générale ont mis alors obstacle à votre bonne volonté, j’ose espérer du moins que, rassuré sur les dangers de la guerre, et voyant que le Limousin a essuyé deux ans de suite des malheurs que les autres provinces n’ont point éprouvés, vous voudrez bien intéresser de nouveau en sa faveur la bienfaisance du roi.

Vous eûtes la bonté l’année dernière, sur mes représentations, d’ajouter au premier moins-imposé de 250,000 liv. un supplément de 200,000 livres. Pour nous faire un traitement égal, il faudrait