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sur les apparences alors très-fortes d’une guerre prochaine, tandis que, de l’autre côté, les craintes que la cherté des grains, éprouvée immédiatement après la récolte, avait fait naître d’une disette universelle, doivent être dissipées. En effet, la diminution graduelle du prix des grains, qui a lieu dans presque toutes les provinces depuis environ un mois, annonce que l’abondance est plus grande qu’on ne l’avait pensé, du moins dans les provinces à froment ; que le haut prix des grains qui s’est soutenu dans les premiers mois de l’hiver, a eu pour cause principale les inquiétudes occasionnées par l’extrême cherté qu’on a subie dans les derniers mois qui ont précédé la récolte de 1770 ; l’incertitude sur l’abondance réelle de la récolte jusqu’à ce qu’il y ait eu une assez grande quantité de grains battus ; l’interruption du commerce du nord, tant par l’augmentation des prix en Pologne, en Allemagne et en Hollande, que par la crainte de la peste ; les bruits de guerre ; enfin, l’obstacle que les pluies excessives ont mis aux semailles dans tous les terrains bas. Il était naturel que, dans ces circonstances, les propriétaires différassent de vendre, soit pour assurer leur provision et celle de leurs colons, soit pour attendre une augmentation de prix que l’alarme générale leur faisait croire inévitable. Mais, les grains s’étant montrés plus abondants à mesure que l’on a pu battre, la saison ayant paru favorable aux semailles des grains de mars, les grains semés en automne paraissant promettre, et les craintes d’une guerre prochaine ayant été dissipées, les esprits se sont rassurés sur la disette, l’empressement des acheteurs s’est ralenti, et les propriétaires se sont au contraire empressés de vendre.

Telle est, ce me semble, monsieur, la situation actuelle du plus grand nombre des provinces, et surtout de celles où la production du froment forme une partie considérable des récoltes. Les provinces dont la principale production est eu seigle, et qui, étant en même temps situées dans l’intérieur des terres et trop éloignées des abords de la navigation, ne peuvent être secourues que par des grains transportés à grands frais, sont les seules qui soient à présent véritablement à plaindre. On dit qu’il y a quelques parties de la Champagne et de la Lorraine qui ont souffert beaucoup. Je n’en suis pas assez instruit pour en parler avec certitude ; ce que je sais, c’est que la montagne du Limousin, les parties de la Marche limitrophes du Limousin et de l’Auvergne, et la partie de cette dernière province